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Vendredi 02 juillet 2021

[Parole d'expert Carnot] L’indispensable réinvention de l’économie du plastique

Instituts Carnot

L'analyse de Sandrine Hoppe de l'institut Carnot ICÉEL (Chercheur CNRS au Laboratoire Réaction et Génie des Procédés - Nancy)

Combinant légèreté, facilité de mise en forme et faible coût, les plastiques se sont imposés comme matières premières indispensables pour la production d’objets et produits dans tous les secteurs d’activité. La diversité de leurs propriétés et de leurs fonctionnalités permet de répondre à tous types d’usage, du plus quotidien comme la bouteille d’eau minérale en PET (polyéthylène téréphtalate) au plus technique et spécialisé comme une pièce composite pour l’aéronautique en résine époxy à fibres de carbone.

De quasi artisanale au début du XXe siècle, la production mondiale des plastiques atteint aujourd’hui près de 400 millions de tonnes. Le génie des procédés, discipline centrée sur la conception, la modélisation et l’optimisation des procédés de transformation de la matière, a accompagné et soutenu cet essor sans précédent.

Cependant, malgré leurs qualités indéniables et leur contribution à une qualité de vie améliorée, l’utilisation massive des plastiques basée sur un modèle linéaire (produire, consommer, jeter) a engendré une quantité énorme de déchets persistants et nocifs pour l’environnement et la santé. Par ailleurs, ces plastiques, synthétisés encore majoritairement à partir de pétrole, contribuent à l’émission de gaz à effet de serre lorsqu’ils sont incinérés. La question environnementale est donc devenue le défi numéro un à relever en vue d’une utilisation raisonnée et à impact neutre (ou du moins y tendant) des matières plastiques.

LE GÉNIE DES PROCÉDÉS AU SERVICE D’UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE DES PLASTIQUES

Face au constat précédent, pas de réponses simples mais les solutions existent. Et le génie des procédés, science systémique et intégrative, joue un rôle majeur pour parvenir à une véritable économie circulaire des plastiques. Des progrès ont été réalisés, notamment via des économies d’énergie et de matière utilisées lors de la fabrication mais il faut aller plus loin. Gestion de la fin de vie, valorisation et recyclage devront être repensés de manière globale afin de développer de nouvelles chaînes de valeur économiquement viables et durables. L’utilisation de ressources renouvelables en substitution au pétrole, l’adaptation des procédés existants ou le développement de nouveaux procédés demanderont des efforts importants de R&D.

Construire une économie circulaire des plastiques ne peut se faire qu’en agissant sur différents leviers : accroître les procédés de recyclage chimique en complémentarité du recyclage mécanique, développer les procédés de production de plastiques biosourcés et/ou biodégradables.

LE RÔLE DES INSTITUTS CARNOT
 
Les Instituts Carnot jouent un rôle important dans ce changement de paradigme entre économie linéaire et circulaire. En ayant identifié l’ensemble des compétences des Carnot sur la thématique du recyclage, ils proposent aujourd’hui des solutions via une offre fédérative et plus globale. Leur ambition va plus loin et vise à identifier les verrous scientifiques et technologiques qu’il reste à lever en matière de recyclage et plus largement d’écoconception des matières plastiques. L’objectif est d’amener les industriels à monter avec les Carnot des projets de recherche partenariaux pour s’attaquer à ces verrous.
Valider la faisabilité du recyclage chimique à l’échelle industrielle

Si la fin de vie des plastiques repose aujourd’hui essentiellement sur le recyclage mécanique et la valorisation énergétique, de nouvelles technologies pour le recyclage chimique émergent avec l’objectif de revenir aux monomères ayant servi initialement à la synthèse du polymère. De nombreux projets ont vu le jour dans ce domaine et les laboratoires spécialisés dans le génie des procédés peuvent contribuer aux côtés des industriels à franchir les sauts technologiques de chacune des étapes de production. Par exemple, un des problèmes est celui de la contamination des plastiques en fin de vie, qui peut venir perturber le procédé de dépolymérisation ultérieur.

Développer des procédés de production de plastiques 100 % biosourcés et biodégradables

De plus en plus de plastiques biosourcés et biodégradables sont mis sur le marché dans un souci d’indépendance vis-à-vis du pétrole et de réduction de la pollution. L’utilisation de matières premières issues de la biomasse, plus sensibles à la dégradation thermique et au cisaillement générés dans les équipements de mise en forme que les plastiques pétro-sourcés, nécessite là aussi l’expertise d’acteurs du génie des procédés pour assurer des propriétés d’usage optimales.

Viser l’écoconception en s’appuyant sur l’analyse du cycle de vie des plastiques

Enfin, quelle que soit la solution de fin de vie envisagée (recyclage, valorisation énergétique, biodégradation), l’impact environnemental des plastiques doit se mesurer en considérant l’intégralité de leur cycle de vie. Les méthodes du génie des procédés, qui considèrent les bilans matière et énergie des systèmes étudiés peuvent être également mises à profit pour quantifier les impacts des matières plastiques à tous les stades, de leur synthèse à leur fin de vie.

EXEMPLES DE SOLUTIONS ET DE TRANSFERTS RÉALISÉS PAR LES INSTITUTS CARNOT

  • Institut Carnot ICÉEL 

    Conjuguant les performances des thermodurcissables avec la recyclabilité des thermoplastiques, les vitrimères constituent une nouvelle classe de matériaux polymères, découverte en 2011 à l’ESPCI Paris-PSL. Contrairement aux thermodurcissables, les vitrimères retrouvent leurs propriétés initiales en fin de vie : sous l’effet de la température, les liaisons deviennent "mobiles", le matériau s’écoule et peut être employé pour former de nouvelles pièces.

    Par ailleurs, le processus de vitrimérisation permet la soudabilité ou le mélange à l’état fondu de vitrimères formés à partir de précurseurs de nature différente. Cette propriété simplifierait le tri en permettant de recycler différents vitrimères dans un même équipement.

    Un verrou qui limite la diffusion des vitrimères est lié aux difficultés de production par les procédés industriels existants. Un projet portant sur la production en continu de vitrimères à base de PBT (polybutylènetéréphtalate) et de leurs composites est actuellement en cours et implique trois composantes du Carnot ICÉEL : les laboratoires Lemta (CNRS-université de Lorraine) et LRGP (CNRS-université de Lorraine) et la plateforme technologique PFT Plastinnov. D’ores et déjà, des industriels ont fait part de leur fort intérêt pour ces vitrimères à base PBT.
    Légende photo : Observations par rayons X et sous étirement d’éprouvettes en vitrimères (Synchrotron Soleil)

  • Institut Carnot 3BCAR

    Si le recyclage de plastiques produits en grands volumes, comme le PET (polyéthylène téréphtalate), est l’objet de beaucoup de travaux, celui de polymères de spécialité soulève des problèmes spécifiques. Le PVB (polyvinylbutyral) est utilisé sous forme de film (0,38 à 2 mm) inséré entre des plaques de verre dans le verre feuilleté (parebrises automobiles, vitrages de bâtiments, téléphones portables). Les films de PVB présentent d’excellentes qualités : adhérence au verre, transparence, absorption des chocs, résistance aux UV, large plage de stabilité thermique (-50 à 200 °C), isolation phonique. Ils sont relativement coûteux à synthétiser mais leur recyclage avait été jusqu’ici négligé.

    Après broyage des parebrises ou vitrages fracturés, le PVB se présente sous forme de chips imprégnées de nombreuses échardes de verre (quelques dizaines de µm). Ces chips souillées (environ 10 000 tonnes/an en France) sont pour l’essentiel mises en décharge, utilisées comme combustible dans des chaudières, ou incorporées dans des revêtements des sols plastiques.

    Le procédé breveté au laboratoire de génie chimique de Toulouse (CNRS, INP Toulouse, université Paul Sabatier Toulouse-III), composante de l’Institut Carnot 3BCAR, désincruste les fins morceaux de verre des chips de PVB afin de pouvoir réutiliser le polymère dans des applications à haute valeur ajoutée. Le traitement des chips se fait par ultrasons, dans une solution aqueuse à température modérée contenant un tensioactif et un sel basique, tous deux éco-compatibles. Après rinçage et séchage, la teneur en verre diminue de 99,5 à 99,9 %. Les chips résultantes peuvent ensuite être utilisées pour produire de nouveaux films par extrusion, évitant l’émission de deux tonnes de CO2 par tonne de PVB recyclée. Ce procédé est disponible pour un transfert vers l’industrie.
    Légende photo : Diminution de la teneur en verre après traitement
     

  • Institut Carnot Cetim

    Le Carnot Cetim a développé QSP® (Quilted Stratum Process), un procédé d’estampage/surmoulage dédié à la mise en œuvre de composites thermoplastiques. Cette technologie permet d’optimiser la quantité de matière utilisée pour fabriquer des pièces répondant à des spécifications exigeantes en termes de mécanique, masse et coût de fabrication.

    Pour accompagner plus loin les industriels dans l’économie de matière, le Carnot Cetim a également développé avec l’Onera un logiciel d’optimisation du composite, le QSD® (Quilted Stratum Design) qui facilite la conception de la préforme complexe multi-épaisseur, multi-orientation. Les récents développements ont permis d’atteindre le marché aéronautique. Dans le cadre du projet européen Sherloc, le procédé QSP réduit très fortement les chutes matières d’un cadre de hublot, passant de 70 % à 30 % de chutes.

    Ce développement, soutenu par la région Pays-de-la-Loire, est le fruit d’une collaboration avec Loiretech, fabricant d’équipements de mise en œuvre ou encore Pinette Emidecau Industries, fabricant de presses, qui dispose de l’exclusivité de la commercialisation de cette technologie à l’échelle mondiale.

    Enfin, le réseau Carnot a facilité l’accompagnement de PME et ETI pour évaluer cette technologie. Ainsi, la PME Somep a pu réaliser un démonstrateur d’assise de siège en composite thermoplastique en substitution d’un équivalent en tôle acier emboutie, avec une réduction de poids significative. Demgy, transformateur de plastiques et composites, s’est également intéressé au procédé QSP® pour divers secteurs : l’automobile, puis les sports et loisirs et enfin, depuis 2020, l’aéronautique.

  • Institut Carnot Ingénierie @ Lyon

    Aujourd’hui, les enjeux de l’économie circulaire sont devenus incontournables pour les industriels qui fabriquent ou utilisent des produits en plastiques. L’écoconception avec la prise en compte de la fin de vie est un paramètre important dans le cahier des charges. Ce qui demande d’intégrer la notion de recyclabilité opérationnelle pour une meilleure revalorisation des matériaux. Il faut également que les produits mis sur le marché ne viennent pas perturber les flux existants.

    Pour accompagner les industriels, IPC, composante du Carnot Ingénierie@Lyon, dispose d’une ligne pilote de recyclage pour tester la recyclabilité des produits plastiques rigides ou souples. La ligne est composée de machines représentatives de celles utilisées dans l’industrie du recyclage mais adaptée en termes de capacité pour pouvoir faire des tests sur quelques kilogrammes de matière. La ligne pilote permet de réduire la taille des produits à revaloriser, de laver les broyats de plastique et les trier. Dans les cas des matières souples, une étape de densification peut être réalisée.

    La matière obtenue en fin de ligne de recyclage peut ensuite être formulée pour une réutilisation dans un produit similaire ou dans une autre application grâce à une ligne de compoundage (processus permettant le mélange par fusion de matières plastiques et d’additifs). La dernière étape consiste à valider la qualité matière et le potentiel de réutilisation de cette matière en fabriquant des produits. Pour cette dernière étape, on retrouve les machines de transformation qui sont utilisées pour la transformation des thermoplastiques.

    Les essais menés selon un protocole défini permettent de fournir un rapport du test de recyclabilité au client. Ce document synthétique regroupe les paramètres process constatés dans les différentes étapes du protocole ainsi que la caractérisation des granulés et des produits réalisés. IPC est laboratoire accrédité Recyclass, outil de validation du niveau de recyclabilité des emballages pour les contenants en PEHD rigide.

  • Institut Carnot M.I.N.E.S : La recyclabilité du PET (polyéthylène téréphtalate) dans l’application "bouteille"

    Face aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui, le domaine de l’emballage alimentaire fait l’objet de reconsidérations profondes, impliquant notamment les consommateurs. En 2020, l’enjeu du recyclage PET est devenu urgent, avec un milieu industriel qui doit savoir réagir rapidement face aux objectifs fixés par la Commission européenne. En effet, la directive "Single-Use Plastic", approuvée par le Parlement européen en mars 2019, fixe un objectif de collecte de 90 % des bouteilles en plastique d’ici 2029 (77 % d’ici 2025) ainsi que l’objectif d’incorporer 25 % de plastique recyclé dans les bouteilles PET à partir de 2025 et 30 % dans toutes les bouteilles en plastique à partir de 2030.


    Dans ce contexte, deux projets de thèse viennent de démarrer au CEMEF (Centre de mise en forme des matériaux), unité mixte Ecole des Mines de Paris/CNRS, composante du Carnot M.I.N.E.S, menés par Nathan Sylvestre et Laurianne Viora. C’est dans le cadre d’un projet fédérateur Carnot sur la recyclabilité des polymères et en partenariat avec Sidel Group, qui commercialise des machines de soufflage de bouteilles, que les actions de recherche sont déployées. Les objectifs concernent la compréhension des comportements physico-chimique et mécanique des nouveaux matériaux hybrides recyclés en PET. Deux aspects fondamentaux sont à l’étude : l’effet des mélanges de PET d’origines différentes et l’effet des contaminants sur l’aptitude des PET hybrides à être grandement déformés et à développer des microstructures pertinentes, en termes de propriétés thermiques, mécaniques et barrières, comme l’impose le cahier des charges de la bouteille plastique.

    (1) Après une première rencontre en novembre 2019 entre les entreprises, chercheurs et institutionnels, le réseau des Carnot a co-organisé, les 1er et 2 juillet 2021, la 2e rencontre Ecotech "Plastiques et Emballages" avec PEXE-Les éco-entreprises de France, l'Ademe et Citeo.